looks to me like a narrow escape.

w/ Ozalee

Retour au point de départ. Eagleman’s Grocery était le seul endroit où l’on risquait de croiser tout le monde, à toute heure de la journée. Et le seul endroit où chacun avait ses petites habitudes, y compris Eagleman Père.

« - ‘Manque trois dollars.
- Merde. Ça dérange si je paye demain ?
- J’fais pas d’ardoise pour les étrangers.
- Mais je suis là depuis deux mois !
- Et moi depuis soixante-dix ans ! »

Un point. Il était pourtant persuadé d’avoir laissé quelques billets traîner sur le comptoir de la cuisine, juste de quoi grignoter pour la journée, comme il le faisait depuis des semaines. Ce n’était ni très sain, ni très nourrissant, mais ça valait déjà mieux que la cantine du lycée. Et c’était dans ses moyens. Il y avait aussi au milieu des sandwichs et des briques de lait, un gentil pack de six et deux paquets de cigarette. Parce que ça aussi, c’était vital, et qu’il ne les abandonnerait jamais pour trois dollars : un vrai dilemme.

« - Et si je promets de ramener trois dollars demain ?
L’autre lui rit au nez.
- Quatre ?
- L’ardoise, c’est moi qui l'offre. Les étrangers m’achètent pas. »

L’éternel refrain du méchant Radcliffe qui veut éliminer Pocahontas et ses copains. Qu’est-ce qu’il fallait leur dire pour qu’ils comprennent que la guerre contre les Indiens étaient terminée ? Que les ‘étrangers’, bien qu’un peu envahissants, n’étaient pas forcément là pour saccager leur havre de paix ? Les plus vieux devaient être les plus grincheux. Et ô quelle chance, c’était les seuls qu’il avait rencontrés jusque là. Ou presque. Hallelujah. La porte s’ouvrit sur un nouveau son de clochette et le visage d’Eagleman se fendit d’un large sourire. « Ozalee, bonjour ! » Silas se retourna, salua sa future amie – oui, c’était décidé – et ne percuta qu’en faisant à nouveau face au comptoir. Non, non, il ne pouvait pas se le permettre. Ce serait trop. Et puis c’était ridicule. Il n’avait qu’à abandonner quelque chose et puis il reviendrait et… non, ce n’était pas envisageable non plus.

« Bon, t’attends qu’ils tombent du ciel ces trois dollars ? »

Spoiler:

C'était toujours pareil. Je soupirai, devant la porte béante du réfrigérateur.
« OHANKO ! Y'a plus rien à manger ! » Hurlai-je le plus fort possible, pour que le principal concerné réagisse. Silence radio. Je roulai des yeux en refermant la porte. « Je vais faire des courses. » J'attrapai mon sac sur une chaise, et me dirigeait d'un pas décidé vers l'épicerie d'Eagleman. Je le connaissais bien, c'était un ami de mes parents, et j'avais passé mon enfance dans son épicerie, à lui faire les yeux doux pour avoir un bonbon. Je le trouvai amusant, malgré son côté rustre, parfois. D'autant qu'il ne manquait jamais une occasion pour glisser quelques provisions dans mon panier. « Je me suis trompé ! Bon, tant pis, garde-les. » affirmait-il, et il refusait dès lors toute proposition que je faisais de les lui rendre.

Suite à quelques minutes de marche, j'entrai dans l'épicerie. Comme je m'y attendais, Eagleman - presque personne ne connaissait son prénom, et je l'avais toujours entendu être appelé ainsi - me salua. « Ozalee, bonjour ! » m'apostropha-t-il dès que j'avais franchi le seuil de la boutique.
Je constatai la présence d'un étranger dans la boutique, et contre toute attente, le gratifiai d'un sourire, avant de renvoyer à l'épicier sa salutation. Je m'avançai dans les rayons, et m'emparai de quelques denrées diverses et variées. Je les choisi rapidement, silencieusement, n'ayant pas envie de m'attarder dans le coin. Du côté du comptoir, j'entendais Eagleman invectiver l'inconnu. « Bon, t’attends qu’ils tombent du ciel ces trois dollars ? »

Je m'avancai désormais vers la caisse, le panier rempli de choses et d'autres. J'observai la situation, qui paraissait légèrement délicate. Apparemment, il n'avait pas suffisamment d'argent pour payer. J'hésitai à lui apporter mon aide. Il restait un étranger. Je posai les yeux sur mes pieds, attendant une idée. Je calculai le prix de tous mes achats, et constatai que j'avais assez pour le soutenir. Prise d'une bonté que je ne me connaissais pas, je lançai, d'une voix douce. « S'il y a un problème... Enfin, pour les trois dollars... je peux peut-être payer ? » Tout à coup, je me trouvai stupide. Je ne sais ce qui m'était passé par la tête de prêter à un étranger. Ohanko ne devait pas l'apprendre.
Je sortis de mon porte-feuilles trois dollars, et les tendit à l'inconnu, geste agrémenté d'un sourire.