love's a slap in the face, Ozalee.

Mes doigts étaient froids, je le savais parce que depuis environ un quart d’heure, je les passais sur mes lèvres, arborant une moue empreinte de lassitude passablement étudiée, les yeux rivés vers le plafond. Je n’avais distingué aucune toile d’araignée ou trace de mauvaise isolation de la toiture, malgré mes recherches intensives, et cela m’avait fait perdre le semblant de rigueur que j’avais au préalable. Disposé en travers d’un pouf à l’étage du Waciyeye Cafe, mon dos ayant beau me menacer à l’aide de sourdes protestations due à l’inconfort de ma position, je préférais m’abîmer dans l’ennui le plus complet plutôt que d’avoir à écouter les cours de mathématiques d’Ozalee. Je préférais quand elle me parlait de littérature, peut-être que ça lui donnait l’air moins cruche, puisqu’elle en connaissait un rayon à ce sujet. J’attrapais un stylo sur la table basse, apathique, en essayant tout de même de ne pas m’emparer de sa tasse de thé par mégarde, et entreprenais de le lancer en l’air, puis de le rattraper ensuite. Il tomba plusieurs fois sur mon visage, accueilli avec un grognement provenant des tréfonds de mon être, et ceci en partie parce que j’avais quelques difficultés à garder mes paupières totalement ouvertes. Pendant qu’Ozalee parlait, se corrigeait presque à la même vitesse, je pensais à Grace. A sa façon de me faire comprendre que j’étais quelqu’un de spécial, à sa naïveté, à ses douleurs, ses difficultés à affronter la vie dans son intégralité. Et je pensais aussi à son mauvais côté, celui qui voulait plus que tout que notre relation clandestine continue. Je crois qu’on appelle ça le masochisme, mais je suis définitivement pas un sadique, alors ça part d’une nature impossible, d’une base pas très solide, ce pourquoi on ne se fréquente plus ces temps-ci. Le claquement sec d’un livre que l’on referme avec humeur me glissa rapidement hors de mes songes, et je tournais un visage à moitié somnolent vers la source du bruit. Et mes yeux tombèrent sur Ozalle, ouais, Ozalee et ses yeux noirs comme l’as de pique. Je haussais les épaules, les laissais retomber mollement, et décidais de prendre une position plus correcte. Je m’asseyais aussi droit que possible, m’enfonçant du même coup dans la surface molle du siège et passais une main dans mes cheveux, inconscient de mes mauvaises manières. Comme d’habitude.

Je roulai le long de la route, me rendant au café. La poussière sur le pare-brise de ma voiture m'empêchant de voir distinctement le chemin me faisant face, j'avançai doucement. Tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, mon véhicule était d'une saleté sans nom. J'arrivai enfin devant le Waciyeye, où je devais retrouver Jolon. C'était mon élève, si l'on peut dire ça ainsi. Je lui enseignai quelques choses, qui m'intéressaient plus ou moins. Les mathématiques, dont j'allais parler ce jour-là, entraient plutôt dans la catégorie des moins. J'y préférais la littérature, un domaine que je connaissais presque sur le bout des doigts, depuis que je travaillais à la bibliothèque de Rosebud – la seule dans les environs. J'entrai et accédai à l'étage où je le trouvai, déjà installé.
Je le saluai d'un simple « Bonjour », et sortis les livres de mon sac. J'en attrapai un, l'ouvrai, le feuilletai avec un manque d'entrain saisissant. Jolon ne semblait pas beaucoup plus enthousiaste. Je devinai que le cours serait d'un ennui monstre, et d'une durée assez restreinte.

« On en était où... » dis-je dans un souffle, plus à mon intention qu'à la sienne. Je parcourai le livre, et finis par trouver la bonne page. Je jetai un regard circulaire sur la pièce, soupirai, et commençai ma lecture d'une voix monotone. Tandis que je lisais, il m'arrivait de relever les yeux, d'abord pour vérifier que Jolon écoutait, ensuite pour constater que son attention s'était dispersée depuis longtemps. Je lis plusieurs pages de ma voix sans ton, avant de m'interrompre. Je fixai Jolon. Je ne dis rien, laissant son esprit divaguer encore un peu, avant de le rappeler à l'ordre. Je n'avais pas envie d'être là, à parler de calculs dont je comprenais à peine l'utilité. Je me demandais encore pourquoi j'avais eu la mauvaise idée d'accepter ces cours particuliers. J'aurais dû signaler mon dégoût pour les mathématiques quand ses parents m'avaient demandé de faire ça.
« As-tu compris quelque chose ? » lui dis-je. Bien que je me doutais de la teneur de la réponse, j'avais posé la question. « Tu n'as même pas écouté. » conclus-je, impartiale.

Après plusieurs minutes de ce silence pesant, je me tournai vers Jolon.« Bon. Les maths c'est fini pour aujourd'hui. » déclarai-je, lasse. Je refermai le livre bruyamment et le rangeai dans mon sac, afin de signifier clairement la fin de la leçon. Je jouai nerveusement avec ma tasse, faisant tourner le liquide contre les parois.
« Des questions ? » Je n'en espérai aucune. Je comptais rentrer chez moi au plus vite, faire quelque chose d'intéressant. A côté de ce cours, tout semblait intéressant, et même la perspective de faire du rangement dans ma voiture, qui en avait bien besoin, m'aurait réjouie. J'imaginai qu'il cherchait des questions, simplement pour me retenir ici plus longtemps. Il en était capable. Parfois, il faisait tout pour m'énerver, et la plupart du temps, il réussissait à me faire sortir de mes gonds. Ce n'était certes pas très dur pour lui. Je m'agaçais d'un rien, et même un regard pouvait suffire à me faire claquer la porte, excédée.
Je croisai les doigts pour qu'il n'ait aucune requête à formuler, et lui adressai un regard qui voulait tout dire.