KARONHISAKE ♦ Celle qui scrute le ciel . uc

clare acomenaw

« YOU THINK YOU HAVE TO WANT MORE THAN YOU NEED, UNTIL YOU HAVE IT ALL, YOU WON'T BE FREE »

Ils m’ont toujours reprochés d’être attachée à la réserve à défaut d’autre chose. Le pire, c’est que je crois qu’ils ont touché juste. Pourtant, même si c’est vrai – ce dont nous n’aurons jamais la preuve formelle – je n’en suis pas moins attachée à la réserve, peu importe quelles en sont mes raisons. C’est mon frère qui m’en a fait prendre pleinement conscience, un soir où j’essayais de le pousser à me réconforter après qu’une dispute avec les parents ait éclatée. Comme souvent, ça avait été en vain, mais j’avais obtenu plus que je n’en espérais, pourtant. Il m’a jeté son œillade spéciale « cherche-pas-à-me-faire-croire-quoi-que-ce-soit-je-te-connais-par-cœur-frangine » en lançant d’un ton indifférent « Tu t’es attachée à Rosebud car c’est la seule excuse que t’as trouvé pour avoir une raison de rester ici au lieu de te barrer faire des études ailleurs. Tu n’as aucune autre vraie attache. » Et c’était vrai. Je n’avais pas beaucoup d’amis ici, ma famille n’avait jamais été une priorité dans ma vie, personne qui pourrait vraiment me manquer si je partais dans une grande ville, comme la plupart des jeunes, afin d’avoir un avenir brillant et un joli diplôme requis par la société. Personne, à part mon frère. « Si. Tu es une attache. » Lui ai-je fait remarquer. Il s’est levé, comme pour quitter la pièce, mais a continué sur le même ton détaché « Non, moi je ne compte pas. Même séparés, on sera toujours ensemble. » Il l’avait dit sans se rendre compte que c’était la plus belle confidence qui m’avait jamais été faite, mais je ne pus m’empêcher de sourire doucement. Il avait raison. Comme bien des fois, il me connaissait mieux que je ne me connaissais moi-même.

Pourtant, d’aussi loin que ma mémoire remonte, la réserve est et a été mon sanctuaire. Mon élément. Une ado normale devrait être attirée par la grande ville, les enseignes lumineuses, la symphonie de sons, les inconnus à chaque coin de rue. Moi, pas. Les vêtements de marque, les portables dernier cri, les voitures rutilantes… Je pense que notre éducation spéciale, dans un environnement qu’on respecte et qu’on connait, nous a poussés à nous attacher au lopin de terre devenu notre maison. S’en aller, ce serait arracher un petit bout de sol avec nous et le trimballer à travers tout le pays. Quand on est nés à Rosebud, on ne peut pas lever le camp sans regarder en arrière. J’aime tout ici. Le dégradé du turquoise au rose que prend le ciel au coucher de soleil, les étés humides, la façon que tout le monde a de connaitre tout le monde, bien que les anciens ne retiennent jamais le nom des jeunes, mais les différencient à l’identité de leurs parents… Lee a raison, peut-être suis-je tellement attachée à notre territoire pour marquer mon appartenance à la réserve. Mais si je suis si conservatrice en ce qui concerne nos coutumes, notre peuple, c’est grâce à Grand-Mère. Je me souviens si bien d’elle… Dans sa petite maison en bois, où la cheminée fumait continuellement, bien que je ne l’aie jamais vue alimenter le feu une seule fois. Je passais des heures là-bas, tandis qu’elle me faisait du thé et des infusions, je lisais des vieilles légendes de la tribu. Elle m’a apprise toute l’histoire de la réserve, elle était ma meilleure amie. Je pense que ma mère a toujours été jalouse de la relation qui nous liait mais elle n’a jamais su s’y opposer. C’est Grand-Mère qui m’a appris à lire le ciel, la position des étoiles et me racontait toute sortes de croyances sur la lune. C’est grâce à elle que j’ai passé des années avec le nez pointé vers la voûte céleste, cherchant à m’imprégner de ses mystères au lieu de vouloir les percer, ce qui était la tare des nouvelles civilisations, selon elle. C’est elle qui m’appelait Karonhisake, ce nom s’est ancré en moi bien plus que celui qui est indiqué sur ma carte d’identité. Elle était mon soleil. Pas la peine de dire à quel point ça m’a détruite quand elle est morte. Je savais cependant qu’elle ne voudrait pas me voir pleurer le départ de son âme de ce corps de vieille femme mais elle me manquait tellement que je ne pouvais m’en empêcher. J’ai été forte, pour elle. Je suis restée à Rosebund pour elle, car ainsi elle reste près de moi. Elle est partout, dans le vent qui agite mes cheveux, dans le doux son des ruisseaux mélangés au chant des oiseaux, dans les rides des anciens, et dans le ciel, invariablement dans le ciel.